Partir autrement, prise 2
Le samedi 4 avril 2015 - Publié sur Le Devoir - Par Carolyne Parent
Pendant que se meurt le forfait de forçat — l’Europe en 10 jours, à droite, le marché, à gauche, le musée, et hop ! dans le car —, voilà qu’apparaissent de nouvelles « voies » touristiques. Rencontres avec des acteurs de l’industrie qui font les choses différemment.
Partir autrement. La belle affaire ! On nous y enjoint depuis au moins une décennie, et sur les ondes de TV5, on nous y invite même en mode familial.
À ceux qui sortiraient tout juste de leur yourte, rappelons que le concept découle de la notion de tourisme durable, elle-même née dans la foulée de l’essor de l’écotourisme, censé valoriser non seulement les écosystèmes mais aussi les populations locales.
Graduellement, ce « voyager vrai » axé sur l’humain plutôt que sur le monument s’est frayé une place de choix dans l’industrie touristique, qui nous propose depuis l’« aventure authentique ». (Nous voilà fixés : jusqu’alors, nous voyagions « faux »…)
À ce premier sens, voilà que se greffe un second, qui s’impose de plus en plus, celui de « voyager hors de la meute », fait remarquer Marie-Andrée Delisle, consultante en développement touristique et coauteure de l’essai Un autre tourisme est-il possible ?.
« Pour moi, cela renvoie à l’individualisme et au désir postmoderne de faire éclater toutes les règles, note-t-elle. Parce qu’on n’a pas envie de faire partie d’un “ troupeau ”, on trouve le moyen de se penser “ voyageur ” plutôt que “ touriste ”, et on se prend à vouloir “ découvrir ” les destinations par soi-même. »
Car, évidemment, la touriste, c’est la belle-soeur ; nous, nous sommes des voyageurs, pas vrai ? ! (À ce propos, il est édifiant de (re)lire L’idiot du voyage du sociologue français Jean-Didier Urbain.)
La Toile de tous nos désirs
Grâce au Web et aux réseaux sociaux, explorer le monde par soi-même devient un jeu d’enfant. Ces nouvelles sources d’information que sont les blogues, Facebook, Twitter et autres Instagram (70 millions de photos partagées par jour !) nous mettent comme jamais en contact avec d’autres voyageurs, leurs vagabondages et leurs « expériences ».
Pour Joseph Adamo, directeur général de Transat Distribution Canada, la Toile a carrément révolutionné la façon avec laquelle le consommateur envisage ses vacances.« Autrefois, on préparait son voyage à partir du moment où on l’avait réservé, dit-il.Aujourd’hui, on rêve d’abord sur le Web, on s’inspire de ce qu’on y trouve, puis on consulte un agent de voyages pour valider ses choix. »
Le tourisme de masse n’échappe d’ailleurs pas au « voyage vrai » en vogue. « Nos clients nous l’ont dit : ils veulent entrer en contact avec les communautés locales », explique M. Adamo. D’où le « Sud autrement » de Vacances Transat et de Nolitours, qui combine des destinations balnéaires et urbaines.
Cet « autrement » rejoint une tendance forte du secteur : le tourisme expérientiel. Car on ne se contente plus de sightseeing ; on « fait » carrément l’Argentine ou Bali avec un cours de tango ou un atelier de batik à la clé !
De même, on veut de plus en plus vivre comme les « locaux », aller acheter son croissant ou son kimchi au coin de la rue.
Si Airbnb, la plate-forme de location d’appartements (villas, châteaux) entre particuliers, connaît un succès si fulgurant (un million d’inscriptions, 190 pays, 34 000 villes et 30 millions de voyageurs depuis 2008), ce n’est pas seulement parce que cette formule coûte moins cher que le séjour à l’hôtel : c’est parce qu’elle permet de vivre une expérience de vie locale que recherchent de plus en plus de touristes.
« Les voyageurs ont toujours été plus intéressés par les “ locaux ” que par les monuments, dit Aaron Zifkin, “ country manager ” pour le Canada. Ce qui change la donne, c’est la technologie qui rend aujourd’hui possible le rapprochement entre les gens. »
Le bon voyage
Que l’offre touristique se diversifie et se raffine est une bien bonne chose, car nous ne sommes pas tous égaux devant l’appel du voyage. On part seul, en famille, avec la voisine, sac au dos, plein aux as, par défi, par dépit, le sourire aux lèvres, la peur au ventre, pour la première fois, pour nourrir son monde intérieur, aller à la rencontre de soi, prendre congé du mari, fuir le huissier… Toutes les raisons sont bonnes (sauf pour ledit huissier).
« Pour moi, le bon voyage demeure celui dont on a besoin, dit Pascale Dufresne, fondatrice de l’agence Vayas. J’ai donc cessé d’utiliser l’expression “ voyager autrement ” sur mon site Web. D’un, elle est galvaudée ; de deux, je ne voulais pas juger de la valeur de nos voyages, car un séjour tout-compris peut être celui qui nous convient. »
Elle a d’ailleurs bien fait de la balancer, cette expression, car Vayas, qui n’est pas une agence de voyages mais une agence qui crée des « expériences de vie transformatrices », propose pratiquement de vivre autrement.
La boîte est née du cheminement personnel Mme Dufresne. Un jour, l’ex-gestionnaire de haut niveau s’est en effet demandé quel était le sens de cette course effrénée qui lui tenait lieu d’existence. Elle a donc laissé tomber « le gros job » pour suivre une formation de l’International Coaching Federation et devenir coach professionnelle.
« Maintenant, j’accompagne les gens dans leur quête de sens et le voyage est l’un des outils à ma disposition », dit la jeune quarantenaire, également ambassadrice de la marque de vêtements de sport Lolë.
Épaulée par une vraie agence et entourée de collaborateurs — thérapeute, intervenant en relation d’aide, yogi —, elle conçoit avec l’un ou l’autre des voyages à l’étranger comme au Québec qui répondent à des objectifs précis.
« Notre point de départ n’est jamais “ où est-ce qu’on va ? ”, mais plutôt “ quel besoin veut-on satisfaire ? ”, explique-t-elle. Veut-on être inspiré ? Veut-on décrocher ? Grandir à travers un choc culturel ? Ensuite, il s’agit de trouver la destination qui nous permettra le mieux d’atteindre ce but. »
Concrètement, cela donne ce mois-ci un séjour dans une ferme écologique du Nicaragua sur le thème du dépassement de soi, qui combinera yoga et ascension d’un volcan. Plus tôt cette année, elle a conçu, avec Crudessence, un voyage au Costa Rica centré sur l’alimentation vivante. En juin, elle propose, avec des partenaires indiens, un trek dans le Ladakh pour « se découvrir à travers l’autre ». Bref, que des voyages qui mènent à soi.
La liberté… organisée
Conseillère en voyage depuis 12 ans, fondatrice de l’agence Esprit d’aventure, Ariane Arpin-Delorme a identifié un nouveau besoin chez ses clients, des professionnels dans la quarantaine et la cinquantaine qui n’ont ni le temps, ni l’envie de planifier leur voyage : la liberté. « Plus que jamais ils veulent se sentir indépendants même s’ils sont encadrés », dit la spécialiste des voyages sur mesure avec guide et chauffeur, et beaucoup de temps libre au programme !
À l’intention des vrais « indépendants », qui réservent eux-mêmes leurs billets d’avion et leurs nuitées d’hôtel, mais qui réalisent que l’organisation d’un voyage implique beaucoup plus que cela, elle a créé un service de consultation tarifé à l’heure. Son équipe d’experts, familiers avec une cinquantaine de pays pour y avoir vécu ou séjourné plusieurs fois, valide alors l’itinéraire soumis ou en crée un nouveau, suggère des excursions, recommande de bonnes adresses, etc.
« Ce service est très populaire auprès des femmes qui voyagent seules et qui ont besoin d’être rassurées, ou encore des familles qui partent pour de longues périodes et qui ont une foule de questions », explique la conseillère.
Sensibilisée à la question du tourisme durable, l’ex-travailleuse humanitaire alloue un pourcentage du prix de vente de ses forfaits à la réalisation de projets dans certaines des destinations qu’elle dessert. Ces projets sont choisis de concert avec ses partenaires sur place, bien au fait des besoins locaux. Ainsi, en Asie du Sud-Est, ses clients peuvent rendre visite à des écoles ou à des coopératives de femmes, une invitation que décline… environ 50 % de sa clientèle.
« Je voyage pour aller à la rencontre du monde, mais je me rends compte que ça n’intéresse pas tous mes clients », dit-elle. Plusieurs préfèrent aller à la rencontre de la faune du Costa Rica, de l’Équateur (« une destination familiale extraordinaire ») ou du parc animalier d’Etosha, en Namibie (« un coup de coeur »).
Et pour elle-même, quelle forme prend le voyage « autre » ? « Pour sortir des sentiers battus, je pars en voilier. C’est ma passion et une bonne façon de découvrir des îles moins fréquentées en Grèce, en Turquie, en Thaïlande ou en Malaisie. »
La culture d’abord, et en profondeur
Vous avez envie de partager le quotidien d’une famille kirghize ? De faire la tournée des opéras d’Europe centrale ? De découvrir la cuisine impériale vietnamienne ? Vous êtes à la bonne enseigne chez Atypika, une agence que Mona El Assaad-Yvorra a fondée il y a deux printemps et qui s’adresse aux « intellectuels qui détestent voyager en groupe ».
D’une part, Mme El Assaad-Yvorra concrétise des projets de voyage personnels, quels qu’ils soient : « Je peux vous privatiser l’Ermitage si vous voulez ! » D’autre part, elle propose des « voyages d’auteur » créés par des experts en leur domaine. Par exemple, en septembre prochain, c’est une doctorante en philosophie chinoise qui accompagnera un petit groupe dans l’empire du Milieu sur les traces de grands sages taoïstes.
Au Mexique, c’est Sophie Faucher qui leur fera découvrir l’univers de Frida Kahlo en novembre. Ah, pensez-vous, la vedette de service… Pas du tout : la vie hors normes de la peintre a tellement bouleversé la comédienne qu’elle en a fait le matériau d’une pièce de théâtre qu’elle a jouée à travers le monde.
« Pendant ce voyage, on parle du Mexique du début du XXe siècle, de condition féminine, d’art, de communisme… dit la conseillère. Notre approche va bien au-delà de la simple visite de « monuments incontournables ».
« Prenez aussi notre voyage au Brésil. Accompagné par une guide comme Anne-Louise Fonseca, une historienne de l’art québécoise très attachée à son pays d’origine, vous allez comprendre le pays autrement car elle vous l’expliquera comme personne ! »
Atypika est atypique en cela qu’on y prône la transmission de savoirs. « Parce que voyager autrement, c’est aussi comprendre la destination, la vie des gens et leur culture », souligne Mme El Assaad-Yvorra.
C’est même « à ne pas rater », comme dirait l’autre.
Renseignements : vayas.ca, retraitesdeyoga.com,
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